Dictature sanitaire : Comment le rationalisme des Lumières rend fou
La philosophie des Lumières nous a-t-elle rendus plus raisonnables ? L'Homme du XXe siècle échappe-t-il vraiment aux préjugés ? Y a-t-il des constances dans le mécanisme des croyances ? Comment échapper aux incertitudes ? Comment faire son jugement alors que l'information en temps réel nous saoule de mots et d'images que nous n'avons pas les moyens de juger ?
Pierre Labrousse est professeur agrégé de philosophie et auteur de nombreux livres. Il a souvent été cité dans la presse pour les Cafés Philo qu'il organise sur Colmar. https://www.colmar.tv/VOD/Sortir/Pause-philo-Pierre-Labrousse-2-MC9wjf1Dez.html Son dernier livre « Le clone de l'apocalypse » est un roman d'anticipation qui nous projette dans 50 ans ; fantastique, prophétique, philosophique mais aussi romantique. « Il se finit bien » dira-t-il à l'audience qui émettra un sourire de soulagement.
Alors qu'Andréas Pfeiffer venait d'évoquer « La Marche du Réveil», Pierre Labrousse enchaîne astucieusement en parlant de marcheurs qui peuvent tout à fait être endormis puis rebondit sur ce qui rassemble les quelques 150 personnes qui assistent à cette conférence : le doute et la capacité de remettre en question l'indiscutable. Pour comprendre, il convient de remonter à Descartes et de revenir sur les éléments qui constituent la pensée dominante mais aussi de se questionner sur le rapport entre foi et science, cosmologie et astrophysique.
Pierre Labrousse cite Paul Valéry : « tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est complexe est inutilisable ».
La dictature sanitaire est l'aboutissement logique de notre lien à la vérité. La vérité doit servir à quelque chose, ainsi la science apporte des démonstrations, des preuves, des évidences. Le contraire s'appelle une croyance.
Karl Popper souligne le fait qu'un scientifique veut toujours imaginer la possibilité de s'être trompé. Il s'oppose en cela à Descartes et à Kant. Lorsque la science entre dans les mathématiques, elle ne peut faire de retour en arrière. Le scientifique pense contre lui-même, il voudra pouvoir démontrer que sa théorie fausse d'où l'expression « jusqu'à preuve du contraire ».
Les politiques ne peuvent accepter les incertitudes de la science car ils demandent les sacrifices (confinement, masques, etc.).
Entre le scientifique et le politique naît donc une « chimère » qui maquille la science en certitudes indiscutable : « l'expert ». Un expert vend donc de la croyance en parlant de science. (Le livre d’Alain Denault, « La médiocratie », 2015, dont le premier chapitre, « Le savoir et l’expertise » est très éclairant sur la différence qu’il y a entre ces deux choses.)
Pourquoi certains gens intelligents et cultivés refusent d'écouter les arguments ? Il convient ici de comprendre la triangulation de la croyance. Croire c'est croire que, croire en et croire quelqu'un. Le « croire que » est un acte de l'intelligence, une interprétation qui semble suffisante et est donc satisfaisante. Le « croire en » traduit les espérances, une volonté et des valeurs qui motivent et donnent un sens à notre existence. Le « croire quelqu'un » est la résultante de la confiance placée en l'autre, personne, réseau social ou personnalité. C'est bien cette triangulation « strangulatrice » qui enferme pour qu'il n'y ait pas remise en cause de ses croyances et donc par extension des personnes, réseaux ou personnalités. Ainsi, malgré les incertitudes, toute croyance parvient à subsister car pour la dépasser il conviendrait de remettre en cause non seulement les idéaux (progressisme, « La Science » ) mais également certaines relations sociales.
Pierre Labrousse nous détaille un sondage réalisé auprès de canadiens en ce qui concerne la politique anti-russes et les privations de libertés imposées par les mesures sanitaires. Les résultats sont divisés en deux groupe, le premier se dit favorable aux mesures à 80% tandis que le deuxième ne l'est que pour 9% (voir https://rusreinfo.ru/fr/2022/03/ukraine-la-ville-de-zilopol-reduite-en-cendres-par-les-russes/fbclid=IwAR0Z_nG5p2tPj_HarBpTGudLsnbBNmMOMPwNwi3m404hZAPMKXycWfSFFm8). Qu'y a-t-il donc comme différence entre ces deux cohortes ? La première représente les individus vaccinés trois fois, la deuxième les non-vaccinés. On peut en déduire que le doute amené à l'esprit de certains par la narratif du Covid amène à un doute plus général.
Vous ne pourrez comprendre le monde si vous ne comprenez pas la source philosophique, originelle. Pierre Labrousse, en bon pédagogue remet deux textes à l'auditoire : Descartes - Discours de la méthode, I, §7 et partie VI, §2. Descartes étudiait à La Flèche, école de Jésuites devenue par la suite école militaire. S'il déclare n'avoir rien appris d'utile à la vie dans cette école (la meilleure) il ne déduit qu'aucun savoir valable et utile n'a jamais été trouvé. L'orgueil de la modernité juge tous les siècles à partir de lui-même et fait table rase du passé. Dans le deuxième texte, Descartes a enfin trouvé ces connaissances « fort utiles à la vie » : les mathématiques. Euclide énonçait qu'un point (en mathématique) n'a ni longueur ni largeur, un point n'existe donc que par définition. Le discours mathématique est construit à partir de notre esprit. Ainsi, penser le monde comme les mathématiques est-il faire du monde une construction de son esprit. Descartes n'aura pas découvert après coup que les idées (innées) et principes (rationnels) s'appliquaient aux choses.
Heidegger (1989-1976) nous apprend à lire que la Modernité n'est pas une révolution scientifique aboutissant à des applications techniques mais est, au contraire, une décision d'imposer sur les êtres, une toute puissance technique qui présuppose de réduire les êtres à l'utilisation que nous pouvons en faire (Gestell - Arraisonnement). La Modernité réduit toute chose à l'usage auquel elles sont destinées. L'Homme moderne se définit en maître et possesseur de la nature, considérée comme un magasin dans lequel on prend jusqu'à épuisement.
Si la toute puissance constitue l'essence de l'homme moderne, on comprendra que les États occidentaux jugent insupportable l'impuissance dans laquelle nous laissait le Covid hier, et la guerre en Ukraine aujourd'hui.
Pierre Labrousse termine son exposé en citant 3 préjugés et fake news que traîne le progressisme de la modernité.
1- Présenter nos ancêtres pré-modernes comme crétins en citant le platisme médiéval est une fake news inventée par Voltaire. En effet, l'homme savait que la terre était ronde dès le IVe siècle avant JC et en avait même calculé le périmètre !
2- La théorie du Big Bang est citée comme une preuve avancée par un adversaire de La Genèse. Il n'en est rien puisque Georges Le Maître, son inventeur, était prêtre jésuite. Pie XII « Jamais je n'aurais oser espérer que la science viendrait confirmer la Bible ». En effet, les premiers mots de la Bible sont « au commencement». Les athées comme les grecs croyaient le monde éternel.
3- Faire croire que le matérialisme est un humanisme qui affranchit les hommes alors même qu'il détruit le libre arbitre.
La liste des doutes est longue...
C'est ainsi que Pierre Labrousse achève son « cours». Pressé par le temps, il aura dû raccourcir son temps de parole au désespoir de l'auditoire qui n'a pas vu le temps passer et qui aurait volontiers accepter une heure de colle supplémentaire. Pierre Labrousse maîtrise l'art du rythme de la parole, les hauteurs des envolées érudites pour ne pas perdre son audience tout en suscitant l'envie d'en apprendre plus. En fin pédagogue, il sait les ponctuer d'exemples pratiques et d'images parlantes sans oublier les touches d'humour qui, permettent à la concentration une bonne oxygénation. À n'en pas douter il aura conquis l'auditoire.
Il répond ensuite à quelques questions.
Q° - Comment l'esprit humain peut-il aussi bien décrire les choses ?
Le mathématicien se demande si sa théorie est juste, il n'en finit pas de la réécrire, de la recalculer. Le physicien ne pourra jamais ouvrir la montre, il ne peut donc que la théorie sans pouvoir se comparer au réel. Saint Thomas d'Acquin disait « Dieu pense tout à partir du concept qu'il forme lui-même ».
Q° - La Science est-elle encore enseignée ?
La réponse est apporté par Marcel de Corte dans « L'intelligence en péril de Mort » : notre monde moderne réduit le réel à des équations (rationalisme) mais la raison ne peut se développer qu'à partir d'une saisie initiale de ce que sont les choses.
Addendum de Pierre Labrousse : dans la suite de la journée, la question de la religion a été abordée. « Je voudrais simplement préciser deux choses, faire deux distinctions. Ces ajouts seront un peu abrupts : désolé, ils condensent quinze ans de réflexion ».
1 Foi n’est pas croyance
La croyance est un jugement qui a le tort de manquer de rigueur alors qu’il aurait pu et dû en montrer davantage. La croyance a tort de ne pas parvenir à être plus rigoureuse et scientifique. Or il y a des domaines où la science serait de toutes façons impossible : l’interprétation ; la foi.
L’interprétation parce qu’il ne s’agit pas de dérouler un raisonnement démonstratif mais de créer un rapprochement, par exemple entre un texte allemand du XVIIe siècle et un auditeur français qui peut souhaiter une traduction proche de l’original quitte à ce qu’elle soit difficile, ou au contraire une traduction plus proche de sa grammaire et de son univers. La mise en scène est une interprétation, la traduction, l’explication de texte, etc.. Dans ces domaines, plusieurs interprétations sont possibles car il y a plusieurs façons possibles de rapprocher les choses et les gens. La foi porte, par essence, sur ce qui dépasse nos capacités cognitives : quand on parle de Dieu, tout concept est un mensonge – théologie négative ou «apophantique».
La foi n’est donc pas une science inaboutie. Ce n’est pas une croyance qu’on aurait eu le tort de ne pas transformer en science. Foi, dans le « dogme catholique » : « libre adhésion de la volonté et de l’intelligence aux vérités révélées ». L’objet de la foi est ce qui ne se démontre ni ne se conçoit. Ceci vaut en tous cas pour la foi chrétienne dont les enseignements commencent là où la raison s’arrête. « Credo quia absurdum » disait Tertullien : je crois parce que dans le christianisme, Celui qui est et a tout meurt comme le dernier des esclaves, et ça c’est tellement impensable qu’aucun homme n’avait jamais inventé une chose pareille.
2 Religion ne signifie pas organisation ou institution
Quand les philosophes veulent réfléchir sur la religion, ils veulent faire autre chose que de la théologie - auto-explicitation de la doctrine, discours interne. S’ils prétendent que leur discours décrit ce qu’il y a d’essentiel, de fondamental (ce qui est normal : si on ne prétend pas dire quelque chose d’intéressant, autant se taire) alors ils présupposent que la religion ignore ou dissimule ce qu’elle est fondamentalement. La philosophie de la religion ne peut prétendre expliquer la religion que si elle présuppose qu’elle est capable de définir l’objet spécifique de la religion, Dieu. C’est ainsi que les philosophes prétendent savoir ce qu’est Dieu, par leur propre raison, mieux que les croyants malgré leur révélation. Enfin pour un croyant la « religion en général », ça n’existe pas.
Pour le croyant, il y a la véritable religion, la sienne (si je crois que ma religion est fausse, alors j’en change) et puis il y a toutes les autres qui seront vraies pour autant seulement qu’elles posséderont une partie de la vérité. « Religion » au Moyen Âge ne signifie pas une organisation sociale. Religion (religio) vient de relire (relegere) car il faut toujours relire les textes sacrés dont le sens et la portée excède nos capacités interprétatives. Religio vient aussi de re-eligere : re-choisir, choisir à nouveau, se convertir. Religio vient enfin de religere : relier l’homme à Dieu. Telles sont les trois étymologies proposées saint Thomas d’Aquin. Autre sens : la religion est une vertu, sous catégorie de la Justice : aptitude à rendre à Dieu l’hommage qui lui est dû. C’est cette vertu morale qui fait qu’il y a, dans toutes les sociétés humaines traditionnelles une religion naturelle. Ajoutons que la raison essaye ensuite de comprendre Dieu et se heurte alors à un problème souligné par Aristote dans la Métaphysique : Dieu est « pensée de la pensée » objet suprême pour notre intellect et, à ce titre inatteignable. La
raison, en progressant dans la connaissance naturelle de Dieu parvient alors à ses limites et se trouve alors en attente d’une révélation qu’elle ne peut qu’espérer.
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