État des lieux des mesures à venir
DSA, DMA, EMFA : les outils de la censure
Ce samedi 24 juin 2023, TWEB et l'association ACID ont invité Me Maud Marian, avocate, membre du collectif d’avocats « Les 300 » pour tenir une conférence afin d’alerter sur les dispositions et mesures en cours d’élaboration au niveau européen afin de contrôler les acteurs de la diffusion d’information. Les réseaux sociaux, fournisseurs d’accès, grandes plateformes vidéos sont concernés.
Elle entre dans les textes et nous communique les questions soulevées par Euractiv, Jean-Marie Cavada, Patrick Breyer et une tribune de 270 médias. Ils révèlent les failles, les précisions et les mesures de ces textes pour mettre en avant le contrôle, la censure, et la perte de nos droits alors que sont mises avant la volonté de transparence, l’indépendance et le pluralisme. L'association ACID et TWEB proposent des solutions et vous les présentent.
Dans les semaines à venir, l’Europe met en place trois instruments visant la réglementation des médias et plus généralement des plateformes numériques. Un projet de loi passera le 7 juillet 2023 en première lecture en France visant à conformer de nombreuses lois françaises à ces textes européens.
Le DMA vise à mieux protéger les consommateurs et améliorer la concurrence. Il compte rééquilibrer les rapports entre les géants du numérique et les autres acteurs.
Le DSA concerne le commerce électronique et s'attaque aux contenus (haineux, pédopornographiques, terroristes...) et aux produits illicites (contrefaits ou dangereux). Ce qui est illégal hors ligne doit l'être en ligne. Il vise différemment les contenus préjudiciables (désinformation, canulars, manipulation...) avec une volonté de limiter leur propagation et non leur suppression qui serait contraire à la liberté d'expression.
L’EMFA vise à garantir des médias libres et assurer leur pluralité.
Une obligation de contrôle est faite aux différents acteurs que sont les médias, fournisseurs d’accès à internet, services en nuage, places de marchés, réseaux sociaux…. Ils devront ouvrir des services pour apprécier le risque systémique, modérer, signaler, vérifier le contenu des utilisateurs, créer les sanctions comme l’exclusion temporaire ou le bannissement) et organiser une possibilité de contestation. Ils devront publier des rapports de transparence expliquant leurs décisions de modération. Un auditeur indépendant vérifiera le respect des obligations et du code conduite. L’État contrôlera via un coordinateur des services numériques et la commission européenne contrôlera l’opérationnel également.
Une obligation de transparence et d’interopérabilité leur est faite. Ils devront publier les propriétaires des médias, les financements comme la publicité afin de lutter contre les conflits d’intérêts et les ingérences politiques.
Toutes ces actions doivent être humaines. En ce sens, c’est un progrès car cela met fin aux actions des algorithmes et ouvre le débat.
Les plateformes vont devoir payer une redevance qui financera leur surveillance par l’Europe tandis qu’elles risquent de lourdes amendes pouvant aller jusque 10% de leur chiffre d’affaire mondial pour le DMA et 6% pour le DSA.
À terme, pour l’Europe, il y aura la création de plus d’une centaine de poste des contrôleurs qui interagiront avec les « signaleurs de confiance » des plateformes.
L’Arcom (autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), organisme français passe sous le contrôle et l’autorité de la Commission européenne.
Le projet de règlement (EMFA) cherche à renforcer l’indépendance des médias, la stabilité de leur financement public et limiter les concentrations dans les mains d’une poignée de propriétaires. Leur rôle est qualifié de capital pour assurer une sphère citoyenne saine et garantir les libertés économiques et les droits fondamentaux. L’exécutif européen déplore une augmentation des ingérences dans les décisions éditoriales des médias publics ou privés, notamment l’ingérence politique pour les médias publics avec les autorisations de diffusion et les influences de l’opinion publique en période de campagne électorale.
Les autorités de régulation visent l’indépendance par rapport aux pouvoirs publics, l’impartialité, la transparence, l’obligation de rendre des comptes sur les ressources et nominations. La répartition des aides étatiques devra garantir le pluralisme. Aucun acteur ne doit être en situation de monopole. L’EMFA se penche sur les « poursuites-bâillons » (pression sous forme de procédures judiciaires sur les journalistes). Il est aussi question d’aide financière pour les journalistes et l’interdiction de logiciels espions ou outils de surveillance contre les médias, les journalistes et leurs familles.
Il est à noter que, plusieurs fois dans les textes, il est répété qu’ils se veulent respectueux de la liberté d’expression. Les mesures attestent pourtant de tout le contraire voire le confirment, puisqu'il est stipulé un élément fondamental : la notion de risque systémique qui indique qu’en cas de crise exceptionnelle, la restriction des libertés sera autorisée pour des motifs de : santé publique et sûreté nationale. Ceci est-il prédictif ?
En cas de contestation, l’interlocuteur choisi est le juge administratif (projet de loi de M. Le Maire fin mai 2023) et non le juge judiciaire, plus indépendant du pouvoir politique. Aucun délai de traitement de la contestation n’a été fixé. Ainsi, on peut imaginer les conséquences du retrait d’un article concernant l’actualité et un délai de plusieurs semaines pour la contestation. On notera également que les plateformes (personnes privées) peuvent supprimer du contenu sans intervention du juge, un pouvoir coercitif leur est donc donné leur permettant la restriction de libertés.
La presse écrite avait autrefois un statut particulier à travers la loi sur la presse de 1881. Il sera ici gommé. Elle perd beaucoup.
Monsieur Patrick Breyer, eurodéputé allemand signale deux problèmes. La commission européenne est avant tout un organe politique dont le but premier est de protéger les entreprises. L’Arcom, passant sous son autorité, n’est donc pratiquement aucunement indépendante, tandis qu’aucun texte ne lui garantit cette indépendance. Par ailleurs, les discussions lancées par la Commission avec les grandes plateformes ressemble à un partenariat public-privé.
L’absence de précision quant aux mesures concrètes à prendre est inquiétante. Il note que l’on pourra désormais exiger le retrait d’un contenu légal là où il a été publié mais illégal dans un autre pays.
Pour lui, le DSA ne parvient pas à protéger efficacement les droits fondamentaux, la vie privée et la liberté d’expression en ligne. Il souligne le manque d’ambition au sujet des pratiques commerciales des entreprises et de la publicité basée sur la surveillance des utilisateurs.
Selon Patrick Breyer, eurodéputé, le DSA ne parvient pas à protéger efficacement les droits fondamentaux, la vie privée et la liberté d’expression. Il est favorable aux industries et gouvernements mais pas aux utilisateurs et citoyens. Il remet en cause la volonté politique du Conseil européen.
Euractiv se demande s’il n’y a pas un risque de contrôle excessif de l’information par Bruxelles. En centralisant la compétence judiciaire qui était jusque là nationale, Bruxelles crée un organisme supranational pouvant décider ce qui peut ou ne peut pas être publié. Comment garantir l’indépendance de cet organisme ?
Les journalistes européens ont vu leur situation se dégrader notamment face à l’ingérence politique des gouvernements. Le contrôleur européen des données estime que la loi européenne sur la liberté des médias est insuffisante.
Jean-Marie Cavada, journaliste et député européen de 2004 à 2019 souligne le nombre important d’incompatibilités du projet. Le cadre institutionnel, juridique et économique des médias français est celui qui garantit le mieux le pluralisme en Europe.
Les lois de 1986 pour l’audiovisuel et la loi de 1881 pour la presse. Il n’existe pas de facteur commun entre la presse et les services audiovisuels, il convient de les dissocier pour tenir compte de leurs spécificités. Un seul règlement pour régir les deux est un non-sens. Il est impossible de démontrer l’existence d’un marché européen pour la presse compte tenu des différences culturelles et linguistiques des États-membres.
Le projet modifie de façon importante l’équilibre entre les autorités nationales et européennes et ne répond pas aux objectifs fixés sur les garanties exigées par les États-membres.
Les mécanismes de signalement, restriction et modération seront entourés de la plus grande opacité s’ils ne sont pas coordonnés et articulés, ainsi que le signale l’Arcom.
La Tribune de l’Alliance de la presse d’information générale, la FNPS et le SEPM (syndicat des éditeurs de la presse magazine) du 22 juin 2023
Cette tribune a été signée par 270 petits médias.
« Le MFA entend créer un cadre européen pour la liberté de la presse et l’indépendance de l’information. […]…à la lecture des propositions de la Commission, nous sommes pourtant loin du compte. Le texte actuel, préparé rapidement, sans examen des situations nationales ni de véritable concertation avec les médias […] une véritable régression en matière de liberté […] la tentation d’instaurer une régulation administrative du pluralisme […] relève d’une régression par rapport à la liberté dont la presse écrite jouit aujourd'hui en France […] s’agissant de la censure exercée par les plateformes en ligne qui constitue l’expérience des éditeurs européens, ce projet reste très timide …un simple avertissement à l’éditeur permettra de justifier la censure d’une publication. […] Le législateur européen doit poser une limite aux pouvoirs qu’il s’apprête à confier aux GAFA sur le débat public et sur la presse. »
Le projet de loi Le Maire de mai 2023 n’a été que très peu discuté ou remis en question par les députés, sénateurs et par le Conseil d’État. Le processus d’adoption s’est fait très rapidement.
« Le Conseil d’État ne peut que regretter les délais particulièrement resserrés dans lesquels le projet de loi a été soumis, le dépôt exceptionnellement tardif de l’étude d’impact ainsi que le nombre de modifications apportées par le gouvernement […] alors qu’il ne présente, par lui-même, aucun caractère d’urgence justifiant de telles conditions de saisine […] les instances dont la consultation était obligatoire, si elles ont été effectivement consultées, ont été dans l’obligation de se prononcer dans des délais très réduits… ».
On notera que les parlementaires s’attachent à réaliser un assainissement des pratiques et des acteurs concernant le trafic d’influences et la corruption.
Devrions-nous penser que les mesures de censure pendant la période auraient pu être des tests du taux d’acceptation de la population de la restriction de leurs libertés ou encore une préparation forcée à accepter ensuite ?
Me Maud Marian se questionne quant à la volonté sous-jacente d’une uniformatisation de l’information et de la culture gommant les particularités de chaque pays. Il est étrange d’avoir l’impression d’une réglementation a posteriori de la crise Covid.
Nos libertés doivent être exercées pour ne pas fondre comme neige au soleil.
Il est ô combien impressionnant de constater le silence assourdissant de la presse concernant ces mesures.
Me Maud Marian avertit que si le texte est maintenu en l’état, il s’agit d’une régression phénoménale des droits des journalistes, des médias, de la jurisprudence concernant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Dans le cadre de celle-ci, l’intervention du juge judiciaire permettait une appréciation minutieuse au cas par cas.
De nombreuses lois vont changer : LCEN, RGPP, DGRP, loi de 1881 …
Bien qu’ils soient encore en discussion, nous n’avons que peu d’espoir quant à l’évolution de textes européens. De grosses réformes s’annoncent en France concernant nos textes protecteurs, qui n’étaient déjà que parcimonieusement appliqués. Tout ceci sous couvert d’une meilleure régulation d’internet.
Malgré d’énormes restrictions de liberté sur le territoire français, le juge judiciaire est totalement écarté. Les contenus illicite et préjudiciable sont mal définis. Il n’y a pas de véritable protection de la liberté d’expression mais aussi d’opinion. Le dispositif est inquiétant sous réserve de son application.
Cependant, les limites vont être techniques, il n’est question pour l’instant que d’une obligation de moyens mais pas de résultat. La mise en place de ces contrôles tant pour la commission européenne que pour les plateformes est lourde, ils ne sont pas prêts. La question se pose de savoir si les plateformes vont souhaiter rester en France et quel rôle elles accepteront de jouer (capo ou rempart ?)
Ci-joint les textes :
La conférence de Me Maud Marian
La conférence de l'Agence Collaborative d'Information et de Diffusion (ACID) présente les alternatives et solutions développées en partenariat avec TWEB. Les outils et processus mis en place pour la liberté d'expression et le droit d informer (outils de travail collaboratif, plateforme numériques de multi-fdiffusion, Télévision 2.0...) sont à présent en place et fonctionnels pour ouvrir un univers médiatique nouveau, libre, résilient et indépendant.
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