25 septembre 2022
Les chroniques du Ratiocineur

Les chroniques linguistiques dominicales du Ratiocineur, épisode 8

Le « papa de Marie » et la « maman de Kévin »

par Le Ratiocineur

Cette chronique sera assez courte (contrairement à l’habitude !) mais elle aborde un thème important : le remplacement du langage soutenu et pudique par un langage familier et inapproprié.

Scène de la vie ordinaire

Imaginons la scène suivante, fictive, mais qui rappellera peut-être des souvenirs aux lecteurs : Mme Hidiaute est à la boulangerie avec son fils de 5 ans, Kévin. M. Nahif est en train de faire la queue dans cette même boulangerie, juste avant Mme Hidiaute, pour acheter sa PQR (presse quotidienne régionale), dont il n’a pas encore très bien compris qu’elle avait tout l’R du PQ (une fois utilisé...). Arrive alors M. Dedieu, le père de Marie, laquelle est en classe de grande section de maternelle avec Kévin. On assiste au dialogue suivant :

« Maman », dit Kévin, « je peux avoir un croissant ? »

« Mais bien sûr mon chéri ! Oh, regarde… c’est le papa de Marie ! », répond Mme Hidiaute.

Commentaire

Il est tout fait normal pour le petit Kévin d’appeler sa mère « Maman », tout comme la petite Marie serait en droit d’appeler son père « Papa ». En revanche, Mme Hidiaute, qui est étrangère à la famille nucléaire des Dedieu, n’a pas à parler à son fils du « papa de Marie ». C’est bien du père de Marie qu’il s’agit. « Papa » et « Maman », sont des interjections qui devraient n’être employées que par les fils et filles de leur père et/ou mère, respectivement. Un tiers extérieur à l’ensemble {M. Dedieu, Marie} devrait parler du père de Marie, évoquant M. Dedieu, et non pas de son papa ; un tiers extérieur à l’ensemble {Mme Hidiaute, Kévin} devrait parler de la mère de Kévin, et non pas de sa maman. Le gouvernement de Vichy, sous le Maréchal Pétain, avait créé la Fête des mères et la Fête des pères ; il n’a pas créé la « Fêtes des mamans » et la « Fêtes des papas ».

Les parents qui parlent à leurs enfants du « papa » ou de la « maman » d’un autre enfant sont bien intentionnés puisqu’ils veulent se mettre au niveau de la psychologie d’un enfant 5 ans et, comme disait à peu près Albert Einstein, « si vous n’êtes pas capable d’expliquer un concept comme à un enfant de 5 ans », c’est que vous ne l’avez peut-être pas entièrement compris ; l’enfant de 5 ans, lui, dit effectivement, avec raison, selon le cas : « Papa », ou « Maman » à son père, ou sa mère. Cependant, le rôle d’un parent, c’est bien d’élever l’enfant, c’est-à-dire, notamment :

- de l’aider à prendre de la distance par rapport à lui-même (lui faire comprendre qu’il n’est pas le centre du monde) et à son environnement, par exemple en lui enseignant une langue correcte, c’est-à-dire en lui apprenant qu’il y a plusieurs registres de langue : le langage familier (qu’il peut parler avec « Papa » et « Maman »), le langage courant (qui exige qu’on parle du « père » et de la « mère » d’un enfant d’une famille qui n’est pas la sienne) et le langage soutenu (à utiliser lors des correspondances administratives écrites [*], notamment). Il existe effectivement un nom commun « maman » et un nom commun « papa », ce qui permet à l’enfant de 5 ans de « jouer au papa et à la maman ». Mais nous avons affaire ici à du langage familier, et le propre du langage familier, c’est qu’il ne devrait pas sortir du cadre de la… famille.

- de lui faire remarquer qu'on ne doit pas dire « je peux avoir un croissant ? », mais : « puis-je avoir un croissant ? », ou « pourrais-je avoir un croissant ? ». Bien sûr, dans la langue parlée, on peut s'autoriser à ne pas inverser le sujet en posant une question, quand on est entre adultes. Mais l'enfant qui en phase d'apprentissage de la langue devrait systématiquement être repris à l'oral quand il produit des tournures fautives ; faute de quoi, une fois au collège, puis au lycée, il écrira comme il parle, et comme on ne lui aura pas appris à parler, cela justifiera le courroux d'un René Chiche (auteur de La désinstruction nationale) en corrigeant des copies de « philosophie »... Mais il est peut-être déjà trop tard : parfois, ce sont les enseignants et fonctionnaires territoriaux eux-mêmes qui écrivent comme ils parlent...

Moralité

Ceux qui s’accommodent de l’expression « le papa de Marie » ou « la maman de Kévin », ou qui l’emploient, ne doivent pas s’étonner de l’infantilisation de la société française, et de l'intrusion de la vie publique dans la sphère privée, puisqu’ils y participent.

[*] Il est toutefois clair qu’à partir du moment où un « président » de la République fait le pitre en déclarant « les non-vaccinés, j’ai bien envie de les emmerder », il serait déplacé d'exiger une quelconque exemplarité de la part des administrés : il est normal que ces derniers soient enclins à vouloir… tirer la chasse, et s’abandonnent au langage familier, puisque le « président », qui devrait être exemplaire en public, choisit de déserter les langages courant ou soutenu pour donner dans l’argotique.


Ratiocineur

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