Fortes chaleurs, pass [sic] « sanitaire » et privilèges
par Le Ratiocineur
Contexte
M. I., chef d’un service S d’un établissement É de la direction générale D d’une administration publique A, a récemment commis un courrier électronique dans lequel il observait :
« Malheureusement, pour aujourd’hui Météo France plaçait la Moselle en vigilance jaune et on ne pouvait donc pas activer les TTE ».
Analyse
La phrase ci-dessus résume assez bien les difficultés de compréhension qu’il peut y avoir entre des agents (salariés) et leur administration (grande entreprise (GE), ou petite ou moyenne entreprise (PME)).
Objectivement, et sans manquer de respect à quiconque, on y confond joyeusement deux choses :
— le Droit, qui définit en termes précis, mais de manière aveugle et nominaliste ce qu’est une vigilance orange, une vigilance jaune, et la situation de télétravail exceptionnel (TTE), etc. ;
— la possibilité (d’action dans le réel ), véhiculée ici par le verbe « pouvait ».
Il faudrait donc reformuler la phrase de M. I. ainsi (si nous la comprenons bien) :
« Malheureusement, pour aujourd’hui Météo France plaçait la Moselle en vigilance jaune et on ne devait donc pas activer les TTE. »
C’est toute la différence — et on l’a bien vue depuis cette « crise » (sic) « sanitaire » (re-sic) — entre le droit et la possibilité. Ainsi certains agents ou salariés ont-ils revendiqué de pouvoir respirer sans entraves, comme c'est leur droit naturel, mais il n'en ont pas eu la possilbiité, au nom de la préservation de la santé de tous, alors que la santé est individuelle.
Nous affirmons qu’en fait, au contraire, on pouvait parfaitement « activer les TTE » !
D’une part, parce que techniquement, rien ne s’y opposait (ce que la gestion du personnel qui s’affaire avec le logiciel de gestion du temps et des absences aurait pu confirmer).
D’autre part parce que d’un point de vue purement théorique, les notions de vigilance jaune, orange, etc. sont absolument ineptes pour évaluer les conditions réelles de travail. Il existe déjà un indicateur pour cela, qui s’appelle la température.
Problème : cet indicateur se mesure localement.
Mais depuis plus de 230 ans, nous vivons dans un État jacobin (*) : ce qui se passe en France, c'est ce qui se passe à Paris. Ni plus ni moins.
On comprend dès lors donc qu’il ne saurait être question qu’un chef d’établissement (a fortiori un chef de service ou un chef de groupe, un adjoint administratif, contrôleur, ou attaché à l’échelon 3...) téléphonât au Directeur général de D (a fortiori au ministre de tutelle) pour que cette affaire pût être traitée oralement, et qu’une décision fût prise « de gré à gré » entre individus qui se font confiance, dans l’intérêt local des agents. En effet, du fait de l’émergence du Droit, le contrat a remplacé la confiance. Et il n’y a que nos amis (?) de Darty (et leurs clients naïfs...) pour croire qu’on peut associer les deux.
Pourtant, l’agilité, dont il est souvent question dans les directions des systèmes d’information, n’est-ce pas aussi cela ?
Conclusion
Nous espérons que ce courrier ne heurtera pas les personnes qui pourraient s’être reconnues derrière I, S, D, A. Qu’ils veuillent bien comprendre que même si certains agents ou salariés sont payés pour accomplir des tâches plus ou moins répétitives et utilitaristes, ils demeurent parfois des mathématiciens de formation initiale, tel votre Ratiocineur préféré. Et l’objet des mathématiques n’est pas de faire joujou avec des chiffres et des courbes. Non. L’objectif des mathématiques est de tenir bon sur la rigueur, qu’il ne faut jamais confondre avec la rigidité. Si les mathématiques ne sont pas un jeu (contrairement à ce que de mauvais pédagogues voudraient faire croire aux élèves, sous la pression, parfois, de leurs parents, parfois totalement ignorants de ce qui constitue le cœur de cette discipline), c’est parce que dans un jeu. Dans un jeu, les règles ne changent en cours de partie. En mathématiques, si la rigueur l'exige, ce changement est possible ! C’est une question, pour ainsi dire, d’amélioration continue du langage mathématique.
Cela dit, retenons que « la santé prime sur le travail » (extrait également du courriel électronique de M. I.). C’est un point positif.
Le problème, c’est que si chacun peut, à peu près, s’accorder sur ce qu’est le travail (ou plus précisément : l’activité rémunérée dans le cadre d’un contrat), la santé est un capital individuel, que l’on ne peut donc pas faire fructifier de manière... industrielle. Cela relèverait plutôt. . . de l’artisanat. On peut d’ailleurs s’interroger sur le caractère totalement insensé de l’expression « santé publique ». Il n’y a ni corps ni psyché collective ! Il ne peut donc y avoir de santé qu’individuelle, c’est-à-dire privée. Et on peut même aller jusqu’à se demander si c’est bien le rôle d’un employeur (qui traite donc du travail) ou d’un pouvoir public quelconque, que de décider de façon aveugle de ce qui serait bon pour la santé des individus. Ne serait-ce pas, de la part de ce pouvoir ou de cet employeur, l’expression d’un manque total d’autorité ?
La santé, d’ordre privé, peut bien sûr, faire l’objet d’une prise en charge par la collectivité car, toujours, des individus en situation de mal-être fragilisent le groupe. Mais à condition que ce soit bien, justement, une demande de cette collectivité, qui ne se réduit jamais à de soi-disant représentants de ses membres, qu’ils soient syndicalistes, élus, patrons, etc., mais se compose de la totalité de ceux-ci : le centre d’un disque (c’est-à-dire un cercle complété par son intérieur) n’a jamais permis de reconstituer l’intégralité du disque !
(*) Durant la Révolution française de 1789, les Jacobins, partisans d'un état centralisé se sont opposés aux Girondins, qui voulaient davantage d'autonomie des départements. Voir l'article du Wikipedia sur le jacobinisme.