Les chroniques linguistiques dominicales du Ratiocineur, épisode 13
23 avril 2023
Les chroniques du Ratiocineur
Les chroniques linguistiques dominicales du Ratiocineur, épisode 13
De grâce, débarrassez-nous de ce « narratif » (sic)
On entend, çà et là, de plus en plus de personnalités se gargariser du mot « narratif » employé fautivement comme un nom commun. Parmi ces personnalités, nous citerons, par ordre alphabétique :
- François Asselineau ;
- André Bercoff ;
- Marie-Estelle Dupont ;
- Virginie Joron ;
- Éric Morillot ;
- Charles Sannat ;
et la liste n’est, bien sûr, pas exhaustive.
Il n’est pas forcément utile de sourcer, pour chacune de ces personnes, l’emploi fautif (et qui plus est : récurrent) de ce mot, puisque nous cherchons à le faire oublier.
François Asselineau écrit donc : « le ‘‘narratif’’ comme on le dit maintenant ». Mais qui est donc « on » ? Non seulement, « on » n’est probablement pas une référence en matière linguistique, mais nous pouvons conjecturer que, comme cela était dit dans les chaumières au XXe siècle : « on, c’est un con ».
En général, il est clair que ce n’est donc pas une bonne idée de se prévaloir de ce que « on » en pense pour relayer un mot.
Nous proposons donc aux lecteurs d’aller compulser une référence un peu plus raisonnable : le Dictionnaire de l’Académie française, dans sa 9e édition en vigueur actuellement. Voici une copie d’écran du résultat obtenu après un début de requête sur le mot « narratif » :
On constate donc tout d’abord que le mot « narratif » n’existe pas en temps que nom commun, mais seulement en temps qu’adjectif qualificatif. On pourra donc légitimement dire : « une trame narrative », mais pas « le narratif ».
Comme toujours dans ce pays, mentalement colonisé, souffrant d’anglo-américanomanie aggravée qu’est la France, le mot « narratif » est une importation fautive dans le lexique français de l’anglais « narrative » qui, là, effectivement, est un nom commun, on en atteste l'entrée correspondant dans le dictionnaire WordReference :
Retournons sur le site de l’Académie française, à la rubrique « Dire, ne pas dire » :
En conclusion, si Mmes Dupont et Joron, MM. Asselineau, Bercoff, Morillot, Sannat et tant d’autres ont apprécié ce billet de réinformation, et s’il est exact, comme l’écrit Spinoza, que « Les hommes libres seuls sont très reconnaissants les uns à l'égard des autres. » (Éthique, Proposition XL L III), nous leur adressons cette supplique : de grâce, débarrassez-nous de ce « narratif » (sic), et suivez l’exemple de Stanislas Berton, qui emploie, à juste titre, le mot de « récit », par exemple dans cet entretien réalisé par Xavier Azalbert (qu’il faudrait probablement ajouter à la liste des « coupables ») pour France Soir.
Mais pour revenir à l’extrait de l’article de M. Asselineau, s’agissant de la « version occidentale des évènements » (qui prend un accent aigu et un accent grave, après mise en cohérence de son orthographe avec celle du mot « avènement » lors de la réforme de l'orthographe de 1990), on pourrait également parler de fable, de sornette, de carabistouille, ou de calembredaine… Bref, le français est une langue riche. Cultivons-le au lieu de le mutiler !