10 novembre 2023
Reportage

Andreas Pfeiffer, martyr de l'Éducation nationale ?

Le 8 novembre 2023, Andreas Pfeiffer se présentait au Tribunal administratif de Nancy accompagné de son avocate Me Nancy Risacher pour se présenter à l’audience de référé à leur initiative afin de contester la révocation sur sursis de 2 mois de la peine prononcée en septembre 2022.

En septembre 2022, suite à un conseil de discipline, Andreas avait été condamné à 3 mois de suspension sans salaire dont deux mois avec sursis. Il n’avait pas souhaité faire appel de la décision, qui bien qu’injuste, était acceptable dans le contexte du moment.

En juin 2023, il avait dû faire face à un nouveau conseil de discipline.

En juillet 2023, la peine lui avait été communiquée. Il était déplacé dans un établissement se trouvant à plus de 80 kilomètres de chez lui, soit environ une heure et quinze minutes de route. Il était aussi déclassé, puisque cet établissement était un collège alors qu’Andreas enseignait au niveau lycée.

Andreas avait eu un bon mois pour « encaisser » le coup et a effectué sa rentrée dans le collège René Gaillard à Bénaménil. Malgré quelques appréhensions, il fut très bien accueilli et sa rentrée se passa très bien. Quiconque connaît Andreas ne peut que confirmer son caractère indéniablement humain et profondément altruiste. C'est donc tout naturellement qu'il noua des liens constructifs avec ses collègues. Les appréhensions d’Andreas étaient à mettre sur le compte de ce harcèlement dont il se dit victime depuis plus de deux ans puisqu'il a, pendant ses 30 ans de carrière, toujours eu de très bonnes relations avec ses collègues, ses élèves et sa hiérarchie.

Bien que Monsieur Olivier Odille, proviseur au lycée Claude Gellée d’Épinal, soit celui qui aurait commencé ce harcèlement, ce seraient  certains de ses collègues et le rectorat qui auraient agi de concert. Il est d’ailleurs permis de se demander si le harcèlement est confirmé par l'enquête en cours, si Monsieur Odille n’aurait pas "persécuter" sur ordre. La question reste entière. Quoiqu’il en soit, et bien que ce proviseur ait fait l'objet de trois plaintes de professeurs dans ce lycée, l’Éducation nationale et le Rectorat l’ont non seulement maintenu en poste mais s’acharnent depuis lors sur Andreas Pfeiffer.

Pour rappel le harcèlement moral consiste en des attaques réitérées visant la destruction psychique progressive de l’individu visé. La société, l’institution, le groupe, dans leur inaction permettent que cette persécution s'installe, se poursuive et s’intensifie. Par une participation active ou passive, ils donnent leur consentement au harceleur qui jouit alors de sa toute-puissance à exercer sa « violence perverse » (Marie-France Hirigoyen, livre ci-dessous). Les symptômes pour celui qui le subit sont les mêmes que ceux relatif à la torture.

Andreas n’est pas le seul professeur à déclarer subir cette « torture » trop fréquemment pratiquée au sein de l’Éducation nationale ainsi qu’en témoignent plusieurs livres écrits sur le sujet.

                                         

 

Andreas et son avocate, Me Nancy Risacher décident de faire appel de ce déplacement d’office et déposent un recours le 13 septembre 2023.

Le 20 septembre, soit 8 jours plus tard, le Rectorat décide de révoquer le sursis des mois de la peine prononcée l’année précédente. Andreas est donc notifié, le 4 octobre, d’une suspension pour une durée de deux mois, sans salaire. Son avocate et lui-même interprètent cette décision comme des représailles à leur appel de la décision de déplacement. En collaboration avec Maître David Guyon, Nancy dépose un recours en référé, qui sera entendu ce mercredi 8 novembre au tribunal administratif de Nancy.

Leur argument de logique est :  pourquoi Andreas aurait été prévu, durant l’été (donc après la décision du conseil de discipline), comme professeur d’allemand dans ce collège pour l’année 2023/2024 pour en être soudain suspendu à peine un mois après la rentrée et quand bien même, pourquoi n’a-t-il pas été informé de cette décision de révocation de sursis immédiatement en juillet ? Il est ici question de logique, mais également de respect des élèves, qui n’ont pas à subir les retournements de décisions de l’administration, les pénalisant dans leur scolarité. Si la suspension était intervenue durant l’été, la rentrée aurait pu se faire, à quelques jours près, dans les temps pour les élèves. On peut donc comprendre les arguments avancés par Me Nancy Risacher concernant la concomitance entre leur recours et cette décision. Une autre explication possible serait la finesse de perversion du harceleur qui laisse à sa victime le temps de recouvrer ses esprits avant de lui asséner le coup suivant, ce qui le rend encore plus violent et puissant. On pourrait imaginer un bras qui se lève mais ne frappe sa proie que lorsque celle-ci ne s’attend plus au coup. Sans doute s’agit-il d’une hypothèse un tantinet paranoïaque… Quoique…

 

Le calme tribunal administratif a été surpris de voir cette trentaine de personnes se présenter avec Andreas Pfeiffer et son avocate ce mercredi. La salle d’audience est petite, toutes les personnes ne pourront y tenir, plusieurs resteront dans la salle adjacente, la porte étant ouverte, ils peuvent entendre les débats. Ceux-ci ne devraient durer que 15 minutes.

Le représentant du Rectorat est également surpris. On ne saura jamais ce qu’il a ressenti, ni même comment il a vécu sa solitude mais nous ne nous avançons pas trop à dire qu’il fut sans doute mal à l’aise. Si, dans ses tous premiers mots, il aura déclenché des soupirs de contestations dans la salle, Me Nancy Risacher a immédiatement demandé le silence par la gestuelle bien connue du « chut ». Chacune des personnes venues en soutien à Andreas aura été calme et respectueuse envers la cour et envers la partie adverse. C’est à souligner car cela a demandé un self-control, une maîtrise de soi, mis à l’épreuve avec les arguments développés par le représentant du Rectorat venus porter la voix du ministre.

Le juge, lors de son entrée dans la salle est surpris mais accueillant.

Me Nancy Risacher se lance dans sa plaidoirie.

Elle souhaite d’abord rappeler le contexte. Andreas Pfeiffer est enseignant depuis de longues années, toujours impliqué, à l’écoute de ses élèves. Il est l’auteur de démarches innovantes, préférant toujours les têtes bien faites aux têtes bien pleines, favorisant les échanges et la découverte de la culture et de la langue allemande.

La pandémie survient et avec elle le problème sociétal, de santé publique. Andreas souhaitait un débat serein au sein de l’enseignement. Sa demande a « signé son arrêt de mort, déclenchant dans l’Éducation nationale un véritable rouleau compresseur ». Elle décrit ce que subit Andreas depuis deux ans comme un véritable acharnement de l’enseignement et de l’Éducation nationale. Elle va rappeler la suspension d’Andreas du 6 décembre 2021 au 5 avril 2022, sa suspension d'un mois dans salaire en septembre 2022. Elle explique les procédures disciplinaires durant lesquelles elle aura bataillé pour pouvoir faire entendre les témoins, des délibérés qui auront eu lieu sans qu’elle n’en soit informée (plusieurs délibérés ont été nécessaires pour appliquer la volonté du rectorat à laquelle les participants n'auraient pas adhéré d'office ? La question se pose...). Enfin, elle en arrive au 18 juillet 2023, et la décision de déplacement d’office d’Andreas à plus d'une heure quinze minutes de son domicile et à son déclassement. Il était professeur de lycée, il est maintenant affecté dans un collège.

Elle appuie maintenant sur la concomitance suivante : le 13 septembre 2023, Andreas fait appel de ce déplacement d’office et 8 jours plus tard, le 20 septembre, le Rectorat décide de révoquer le sursis et applique dès notification une suspension sans salaire de deux mois. Elle rappelle les recours sur le fond. Elle souhaite ici demander l’annulation de la révocation de suspension et doit plaider l’urgence (voir procédure de référé).

Elle rappelle qu’Andreas est un professeur consciencieux, que cette suspension, à peine arrivé dans un nouveau collège, où tout se passait très bien avec les collègues, la direction et les élèves est de nature à nuire à sa légitimité. Il est suspendu sans justification. Que vont penser les parents ? Les élèves ? La suspicion induit la perte de confiance et le rouleau compresseur continue d’avancer sur Andreas. Pour Andreas, qui est victime il y a urgence à ce que cet acharnement cesse. Un professeur n’est pas un pion qui peut être remplacé au pied levé, si c’est une pratique courante, ça n’en reste pas moins dramatique.

Me Nancy Risacher remet en question la compétence juridique (titulaire du pouvoir, de l'habilitation nécessaire) de la personne qui a signé cette décision. Elle signale la violation du principe fondamental de contradictoire et signale l’insécurité juridique de son client orchestrée par le Rectorat. « Le rectorat n’aime pas les fortes têtes ni ceux qui réclament la liberté d’expression », dira-t-elle. Pour elle, la concomitance démontre qu’il s’agit d’une sanction déguisée, de la volonté de mettre au pas. « Le but justifie les moyens et Andreas est érigé au rang de martyr. Il est poussé à démissionner ». Enfin, elle évoque les difficultés d’Andreas malgré la solidité de son mental : « il est mis plus bas que terre ». L’urgence financière le touchera dans un mois compte tenu des décalages de versement de traitement. Elle souhaite que la situation soit réexaminée.

C’est au tour du représentant du Rectorat de parler.

Il indique rapporter ici les commentaires du ministre. Il n’y a pas d’urgence. Andreas n’apporte pas les pièces justificatives du défaut de salaire. (C’est ici que les soupirs s’élèveront dans la salle). Il indique que la période des deux mois va très vite passer, la moitié est déjà écoulée. Il indique que la sanction n’est pas discriminatoire et est sans lien avec les agissements de harcèlement. Or ce qui concerne l’atteinte à la dignité d’Andreas, il indique n’avoir aucune pièce justificative. Il poursuit en indiquant que le remplacement d’un professeur est chose courante et ne perturbe en rien la scolarité des enfants. Il répond ensuite concernant la compétence juridiaue du signataire de la révocation du sursis pour indiquer qu’il était nommé par le directeur des ressources humaines et avait délégation pour signer. Concernant la procédure contradictoire, aucun texte ne les y oblige tandis qu’il était tout à fait permis à Andreas de faire part de ses observations. Concernant la sanction déguisée, il indique n’avoir aucun élément ne permettant de l’établir. Il explique que la décision a pris du temps, dans les échanges entre les différents services.

 

Me Nancy Risacher va répondre que toutes les pièces ont été produites en temps et en heure. Elle répète la perte de confiance induite par cette décision et rappelle les témoignages fournis par ses collègues du collège pour attester que tout se passait très bien. Elle rappelle que la révocation du sursis Art 513-3 du code la fonction publique est une possibilité, cette révocation aurait pu être évitée. Par ailleurs, elle réaffirme que sans la contestation de la décision de déplacement, elle est convaincue qu’il n’y aurait pas eu révocation du sursis. Pourquoi lui faire commencer sa rentrée si le sursis devait être levé d’office ?

Le représentant du ministre rétorquera qu’aucun texte ne les contraint à révoquer le sursis dans la foulée d’une décision.

Le juge intervient quelques fois. Ses interventions et son expression indiquent de l’empathie et une compréhension de la situation mais il confirme qu’il ne peut qu’appliquer le droit et que c’est le jugement sur le fond de ce dossier qui est nécessaire.  

Il faut savoir que le droit administratif est un droit prétorien, comme l’expliquera Me Nancy Risacher à la sortie de l’audience. C’est-à-dire qu’il évolue par rapport à la jurisprudence qu’il crée lui-même. Par ailleurs, le droit administratif est très règlementaire. Les règles, le droit s’applique très rigoureusement. Les nuances ou interprétations ne sont pas les bienvenues.

Le temps s’est écoulé, l’audience a commencé à 10 heures. Il est 10h35. Le juge demande à Andreas s’il souhaite s’exprimer. Andreas se lève et souhaite tout d’abord s’inscrire en faux concernant l’affirmation du représentant du ministre selon laquelle un changement de professeur n’est pas préjudiciable pour les élèves. Il rappelle qu’il exerce depuis 30 ans, que la continuité pédagogique est très importante, que le programme est expliqué en début d’année, les liens se créent avec les élèves favorisant les interactions. Il pose ensuite la question de savoir ce qu’il a été dit aux élèves ? Il confirme qu’il a le soutien de la direction et de ses collègues dans ce collège. L’émotion d’Andreas qu’il tente de contenir est perceptible, sa souffrance est visible. Il indique alors qu’il est « jeté dans l’inexistence et qu’il s’agit là du harcèlement de trop ». Il rappelle qu’il ne demandait qu’un débat dans l’intérêt de tous, que ce harcèlement, cet acharnement persiste malgré les plaintes déposées contre le proviseur par lui-même et deux de ces collègues. Il indique qu’il lui a été demandé ouvertement de démissionner. « Mes droits sont bafoués, la mission de l’enseignement également et la liberté d’expression n’a plus cours. Le prix que je paye est très lourd. Pour moi il y a urgence à faire cesser cet acharnement orchestré ».

Je crois pouvoir dire que le juge a entendu son désarroi. Il va lui rappeler qu’il convient tout de même de faire attention à ses propos, car la liberté d’expression rencontre quelques limites en ce qui concerne les fonctionnaires.

L'audience s'achève, après presque 50 minutes. Nous quittons le tribunal. Andreas remerciera tous ceux qui sont venus le soutenir, Me Nancy Risacher confirme que cela compte, tant pour le juge ou le représentant du rectorat mais aussi pour Andreas et elle-même.

Le jugement est attendu rapidement, nous espérons que Monsieur le juge puisse prendre la défense d'Andreas. Mais si cela ne lui était pas possible compte tenu de l'étroitesse de ses possibilités règlementaires, juridiques, il reste le jugement au fond.

 

Saviez-vous que c’est le gouvernement de Vichy qui publie le premier statut en septembre 1941, pour mieux encadrer et surveiller la fonction publique (serment d’allégeance). Tout comme les Conseil National de l'Ordre des médecins. Cela donne à réfléchir, non ?

Enfin, en prenant un peu de recul sur la situation d'Andreas, et au regard des agissements des instituteurs et professeurs durant la crise Covid, on peut se questionner sur les valeurs que doivent représenter un professeur pour nos enfants. Souhaite-t-on un enseignant comme Andreas, qui aime ses élèves, son métier, incite à l'esprit critique, à la pratique de la liberté d'expression, au questionnement face aux sujets sociétaux, développe un « penser par soi-même » pour permettre un épanouissement de chacun dans son individualité  ? Ou préfèrera-t-on un enseignant qui applique les ordres, les règlements, ne s'insurge pas contre l'intolérable, ne prenne pas en compte la souffrance de ses élèves et amène dès lors nos enfants à être formatés dans ce même moule ?

L'étymologie du mot harcèlement vient du verbe « herseler », comme une herse qui va trancher tout ce qui dépasse. 

Que sera notre monde quand toutes les têtes auront été tranchées ? Enseignants, médecins, journalistes, ... Ce sont les citoyens qui financent ce service public qu'est l'enseignement. Il leur appartient de se positionner aux côtés de ceux qui, au péril de leur carrière, voire de leur vie, se positionnent courageusement, et présentement héroïquement pour le bien de leurs enfants. Les mots ne valent rien si nos actions les contredisent.

Parents, vous êtes l'exemple, vos enfants vous regardent.


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