La paysannerie donne une leçon de démocratie
La paysannerie et l'avant Siècle des Lumières sont bien loin d'être ce que l'on nous en dit. Et pour cause !
Certains verraient d'un très mauvais œil que nous puissions replonger dans l'Histoire afin d'y puiser les armes de libération.
Dans le texte ci-dessous, nous reprenons la conférence de Marion Sigaut et des extraits d'Histoire itinérante.
Sous l’Ancien Régime, au tournant du XVIIIe siècle, le royaume de France compte plus de 25 millions d’habitants. La population de la France est essentiellement catholique et rurale, composée de paysans à 90%. Une population relativement organisée et autonome, vivant essentiellement en milieu rural, et fonctionnant globalement sur le principe de la communauté villageoise. Si le mot démocratie a un sens - gouvernement par le peuple - c’est dans ces villages qu’elle s’applique au mieux.
La communauté villageoise fonctionne sur le principe de la solidarité et de la propriété collective.
Chaque village disposait ainsi de ce que l’on appelait autrefois les « communaux ». Ce sont des biens dont l’usage appartient à tous et la propriété à personne. « Ces sortes de biens appelés choses de l’université dont l’aliénation est prohibée ». C’est la possession collective dans une conception chrétienne. Ils pouvaient être source de revenus pour la communauté. Les paysans tenaient à leurs communaux comme à la prunelle de leurs yeux.
Les terres de France étaient soumises à la coutume. Après les récoltes, elles redevenaient « vides », les pauvres ramassaient le blé tombé à terre (le glanage) puis elles étaient occupées par les bestiaux du village regroupés en un seul troupeau. C’était le droit de vaine pâture, les droits du propriétaire tombaient en sommeil. Elle corrigeait la propriété privée, était pratiquée partout et correspondait au droit des gens à égalité entre riches et pauvres. Les seigneurs n’avaient aucun droit particulier. Ainsi, les pauvres ne manquaient de rien. Le droit de propriété était très limité par le droit de la communauté.
Pour leur organisation sociale et politique, ces villages fonctionnent dans la pratique dans une forme d’autogestion par leurs habitants. Les décisions concernant la vie du village sont prises lors d’une assemblée générale, qui se tient généralement le dimanche à la sortie de la messe. L’assiduité de présence était un devoir, une obligation avec des amendes pour sanction. L’assemblée choisit son maître d’école et lui impose son programme, décide des travaux collectifs, et réparti son impôt. L’État (le Roi) se contente d’établir combien chaque village (paroisse) doit lui verser, et la communauté villageoise décide en assemblée, donc publiquement et au sus de tous, de la répartition de l’impôt entre les individus (familles) du village. On était représenté par foyer, les femmes ne sont pas exclues.
Les votes se font à haute voix avec interdiction des votes à bulletin secret. Aucune loi ne régissait le mode de décision mais la coutume transmise de génération en génération, c’était la tradition.
Le village élisait, à haute voix et à la majorité un syndic qui était le représentant du village, de la communauté. Le syndic est au service de la communauté, sans pouvoir, prérogative, prestige ou rémunération. Il est le mandataire, le comptable-payeur et rend des comptes aux habitants. Il soutient le village lors d’un procès, garanti l’archivage des documents conservés dans un coffre dans l'église. Il informe l’intendant (représentant du Roi) des soucis rencontrés par la communauté et organise le logement des gens de guerre de passage.
Les conflits se règlent lors d’une assemblée spéciale qui se tient tous les mois, à laquelle participe le seigneur qui joue le rôle de juge et d’arbitre. Le Roi joue quant à lui un rôle de garant et de recours dans ce système. Le village est aussi une personne morale, qui peut intenter des procès en son nom (notamment contre son seigneur), et qui peut les gagner (sur le principe des class action modernes !).
Les villages consacraient un gros budget à l’instruction de leurs enfants. Ils rétribuaient les maîtres. Dans chaque village il y avait une école depuis le Moyen Âge. Très peu étaient analphabètes. Louis XIV avait rendu l’école obligatoire. C’est l’assemblée qui choisit son recteur (maître d’école). Aucune autorité (le Roi ou l’Église) ne pouvait se substituer à l’élection du maître et du programme. Hors période scolaire, le maître contribuait aux travaux de la communauté.
Les sources de nourriture étaient infinies, le pain, la chataîgne, les porcs, le lait, le beurre, la crème, l’endive, le persil, les fruits, … du cidre, de la bière… la gastronomie française vient de là.
Les villages sont catholiques, la communauté est la paroisse avec l’église en son centre. Le curé avait une autorité morale, il était présent aux assemblées, informait les habitants des nouvelles du monde, mais il vivait sous la surveillance étroite de ses paroissiens. Il vivait de la portion congrue (part fixée par le Roi), la dîme (1/10 des récoltes et fixée sous Charlemagne) partait pour le clergé. Aucun village ne souhaitait vivre sans prêtre et complétait la portion congrue si besoin. On pouvait le signaler à ses supérieurs s’il se comportait mal mais était défendu par les paroissiens s’il était injustement accusé par le clergé. Les curés seront défendus, armes à la main, quand la révolution va s’en prendre à eux.
Les seigneurs étaient de deux types, pièce rapportée ou d’origine. Le seigneur d’origine appartenait à la région, prenait les armes pour défendre les villageois qu’il connaissait. Il participait aux fêtes, dansait avec les paysans, ses enfants étaient instruits dans l’école du village. Les seigneurs ne pouvaient contraindre les paysans et le roi veillait à ne pas laisser les seigneurs abuser de leur autorité sur les paysans. En Vendée et en Bretagne, les seigneurs défendront les villageois et s’opposeront à l’armée républicaine en 1793.
Les seigneurs étaient les gens d’armes (la noblesse d’épée) et étaient payés par les paysans pour cela mais avec les guerres, la milice est venu prélever des hommes dans les villages. La guerre faisait horreur à tous les paysans. Les hommes étaient tirés au sort. La milice lèvera 10 000 hommes, la Convention 300 000 hommes en 1793 et la République en août 1914, 3 780 000 hommes.
Cette organisation pluriséculaire des communautés rurales va être mise à mal dès la Renaissance et surtout durant le XVIIIe siècle par le développement du libéralisme économique.
Les calamités ont débutées au XVIe siècle pour ne faire qu’empirer. Ces troubles ont opéré des renversements de fortune et de propriété. Pour se libérer du soldat pillard, les villages ont dû s’endetter et vendre des communaux. Des nouveaux seigneurs remplacent la noblesse d’épée (nombreux étaient morts à la guerre). Dès la fin du XVIIe siècle, des gens issus de la bourgeoisie des villes (souvent des magistrats, avocats, notaires) se mettent à acheter massivement des terres à la campagne afin de les faire fructifier.
Ces nouveaux seigneurs voulaient s’approprier les communaux. Nombreux sont des magistrats qui, étant juges lors des procès, font perdre les paysans. La communauté se rétrécit, les communaux s’amenuisent. L’impôt dû au Roi se payait sur la résidence mais les seigneurs ne résident plus dans les villages. La traditionnelle communion entre les seigneurs et les gens de la terre avait disparue.
Louis XIV avec Colbert voulut sauver les communaux et le 30 juin 1682, il fit éteindre toutes les dettes des communautés et exigea l’aval de l’intendant pour toute procédure envers une communauté.
La terre était devenue objet de spéculation.
Nous sommes à ce moment en plein triomphe des « Lumières », dont la première liberté promue reste avant tout celle du commerce, de la libre entreprise et des « libertés économiques » (ainsi que son corollaire de la sacro-sainte « propriété individuelle », dont le principe n’existe pas vraiment au sein des communautés villageoises rurales).
À l’heure de la physiocratie et du « libre commerce » l’heure est à l’idée et l’envie chez beaucoup de faire de l’argent entreprise jusqu’ici extrêmement mal vue dans le contexte des mentalités chrétiennes de l’époque.
Cette révolution est en particulier le fait de la bourgeoisie des villes, qui n’a effectivement cessé de croître en nombre et en puissance depuis la Renaissance, et qui, en plus de s’être formidablement enrichie grâce à l’explosion du commerce colonial, investit depuis un moment dans la terre.
Commencent à se mettre en place des mécanismes de spéculation sur cette denrée de subsistance absolument fondamentale
Pour rappel, depuis Charlemagne, la vente du grain (du blé) était extrêmement règlementée, et surveillée de près par le pouvoir royal. L’organisation du commerce des grains était en effet assurée par les marchands, qui avaient la responsabilité d’approvisionner les villes et les régions qui manquaient de grains avec les surplus de celles qui disposaient d’excédents. Le grain (blé) est alors intégralement vendu sur les marchés des villages, dans le lieu spécifiquement prévu à cet effet, et il est rigoureusement interdit de le vendre ailleurs.
Sur le marché aux grains, ce sont d’abord les habitants qui se servent, puis les boulangers, puis les restaurateurs, et enfin les marchands. Les prix sont encadrés et négociés au cas par cas dans les territoires.
Une police existe même et a pour rôle de contrôler spécifiquement les achats et ventes de ces marchands, afin de garantir que la population locale ait pu accéder à ses besoins en blé avant toute redistribution et revente de même que pour s’assurer que le blé vendu par les marchands a bien été acheté dans la légalité, et que ces derniers ne réalisent pas de plus-value non justifiée sur la vente mais surtout ne stockent pas le grain pour faire baisser l’offre, monter les cours et le revendre plus cher.
Connus pour leur tendance aux pratiques monopolistiques (Louis XIV était déjà monté au créneau sous son règne face au phénomène de marchands stockant le blé et aggravant les disettes), ils ne sont guère appréciés de la population, et la police veille « au grain » (vous avez maintenant compris d’où vient l’expression… !) à empêcher tout abus et enrichissement personnels des marchands sur le dos des populations paysannes. Un mécanisme public supplémentaire de régulation existe : on l’appelait la Taxation revenait à plafonner le prix du blé, à en fixer un tarif de vente maximum. Elle s’appliquait également en période de crise à d’autres denrées de subsistance essentielle (le bois ou la cire par exemple).
Il faut bien retenir que la mesure s’inscrivait dans ce qui était conçu comme l’une des missions les plus fondamentales du Roi envers sa population : assurer sa subsistance.
Malgré l’efficacité du système, avec la diffusion des idées des « Lumières », les choses vont changer, et radicalement.
En 1788, la dette représente quelque 4 milliards de livres, soit environ 80 % de la richesse du royaume.
Sous la houlette du nouveau contrôleur général des Finances, M. de l’Averdy une réforme radicale est opérée en 1763. En quelques mois, on cesse d’enregistrer les marchands de blé (comme cela était jusqu’ici la norme), on autorise la vente et l’achat du blé hors des marchés, on autorise la circulation du blé d’une province à une autre et on abolit les taxes douanières. Quelques mois plus tard, on autorise même l’exportation du grain (pratique interdite depuis Henri IV et considérée jusqu’alors comme un crime de lèse-majesté, c’est-à-dire passible d’une condamnation à mort !), et dans le même temps l’importation, qui doit permettre d’équilibrer l’offre et la demande.
Tout le système de la Taxation est également aboli du même coup. Des philosophes des Lumières comme Turgot ou Voltaire réclamaient ces mesures depuis des années, et n’avaient pas de mots assez durs pour critiquer la police du grain, quand les mêmes encensaient les marchands et louaient les mérites et les bénéfices collectifs supposés des comportements basés sur l’intérêt personnel (intérêts personnels considérés globalement par la pensée libérale comme autant de relais et vecteurs de l’intérêt général). En résumé, en quelques mois, la Royauté fait sauter tout son service public de (re)distribution du grain et dérégule totalement le secteur.
Depuis le Moyen Âge en effet, les métiers étaient organisés en corporations, sorte de syndicats avant l’heure qui permettaient dans chaque domaine aux artisans de définir eux-mêmes la règlementation de leur secteur d’activité ainsi que de défendre collectivement et d’une seule voix les intérêts de leur profession, le système étant tout en haut garanti par le Roi. Autrement dit, la classe ouvrière fonctionnait alors dans une forme d’auto-gestion.
Ces nouvelles « expériences libérales » produisent à nouveau des résultats catastrophiques, et des émeutes de la faim éclatent partout en France. Le Monarque a alors la surprise de voir les notables rejeter sa réforme administrative et fiscale et profiter de l’évènement pour en faire une remarquable tribune politique.
Le traité d’Eden-Rayneval (un accord de libre-échange signé entre la France et l’Angleterre en 1786) a inondé la France de produits manufacturés britanniques, mettant au chômage et jetant dans la misère des milliers d’ouvriers (en particulier du secteur textile) dans tout le Royaume.
En cette veille de 1789, en conséquence de tous ces phénomènes, le peuple n’a plus de quoi se payer son pain et crève littéralement de faim. En à peine un demi-siècle, le paysan français a perdu 80% de son niveau de vie.
Et l’appauvrissement et l’exploitation ne font que commencer, car la bourgeoisie lui volera même sa révolte pour la transmuter en révolution libérale, et faire entrer la France dans l’ère du capitalisme industriel comme l’a déjà fait son voisin d’outre-Manche.
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