J'ai récemment pris connaissance de l'entretien accordé par Arnaud Upinsky au média Le Salon beige sur l'affaire Aubert, et je souscris totalement aux analyses faites par l'auteur, notamment, de 2+2=5. De nouvelles mathématiques pour une nouvelle société. Je souhaite, ici, apporter un complément sur la signification du mot orthographe, en ma qualité d'expert, en relation avec un autre scandale déjà abordé il y a quelques années par M. Upinsky : la suppression des accents circonflexes.
Mais cette réforme invite aussi à la suppression de certains traits d'union et d'accents circonflexes ; accent circonflexe dont M. Upinsky a pu expliquer par ailleurs qu'il était « la couronne du pauvre » dans un entretien plus ancien accordé à Médias-Presse-Info. Après cette réforme, on aboutit logiquement à ces chimères : les « tolérances orthographiques » (sic), dont il est question dans le Bescherelle L'Orthographe pour tous (Hatier, 1997, ISBN 978218717178), aux numéros 385 à 393.
Il s'agit bien de chimères dans le sens où si une orthographe existe réellement, elle ne peut être tolérante. Car enfin, à partir du moment où décide d'admettre que la « maitrise » (sic) est la même chose que la maîtrise et que « connaitre » (sic) est la même chose que connaître, logiquement, « croitre » est la même que la même chose que croître. Par conséquent, on peut légitiment se poser la question : lorsque le produit intérieur brut (PIB) croît, en quoi croit-il ? Au niveau du prononcé, la phrase a un sens ; au niveau de l'écrit, elle n'en a plus.
On le voit bien sur ce dernier exemple : les « tolérances orthographiques » signent l'arrêt de mort de l'orthographe, qui se transforme de facto en... volographie, pourrait-on dire. C'est-à-dire qu'on n'est plus censé écrire comme on devrait, de façon droite, juste, conforme à la loi, mais... comme on veut. Le problème avec l'orthographe ne vient pas tant du fait que les Français font des fautes de français (noter ici le « F » majuscule qui distingue le gentilé du pays France, de la langue parlée par ses natifs, et souligne l'importance de la typographie, si l'on veut se faire comprendre par le lecteur sans que celui-ci n'hésite). Il vient du fait que, comme le remarquait le linguiste Claude Hagège sur un plateau de télévision il y a déjà plusieurs années, « la norme n'est plus enseignée », et les fautes ne sont pas (suffisamment) sanctionnées, que ce soit à l'École, à l'Université, ou même... en milieu professionnel, où la compétence consistant à commencer une phrase par une majuscule et à la terminer par un point, notamment lors des interventions sur les messageries instantanées, n'est plus toujours acquise. J'estime qu'écrire « bonjour Jean-yves » (sic) au lieu de « Bonjour Jean-Yves » relève, à mon égard, d'une forme d'incivilité. Et je ne parle pas des pitoyables « Hello » ou « Wesh », qui s'écrivent entre francophones. Si les fautes d'orthographe ou plus généralement de français étaient taxées, soit la dette publique serait rapidement remboursée, au point où on est en rendu de naufrage linguistique généralisé ; soit le niveau général de maîtrise de la langue s'élèverait de façon importante et rapide...
Contrairement aux impôts, les signes diacritiques du français (accents, tréma, cédille, etc.) n'ont pas été inventés pour « emmerder les Français », mais pour transcrire des différences existant au niveau de la langue orale, ou pour lever des ambiguïtés. Le mot « prés » et le mot « près » n'ont pas le même sens, et ne se prononcent pas de la même manière : il est donc préférable de les écrire différemment. Supprimer des signes diacritiques - y compris sur les majuscules et capitales - c'est donc rétablir la confusion, comme on l'a vu avec la boutade sur le PIB.
Nous ne pouvons donc pas mieux conclure cet article qu'en ayant recours, dans le domaine de l'orthographe, aux mots célèbres du président Charles De Gaulle à propos des évènements de mai 1968 : « la réforme, oui ; la chienlit, non ». Et il faut dire que la mise à mort du « masculin générique » relève bien de la chienlit. Un autre exemple remarquable de cette potentielle chienlit est donnée par un ouvrage de psychologie que j'ai lu cet été. Ouvrage dont la matière traitée est fort intéressante, en quoi je pourrais le recommander. Mais sur la forme, l'ouvrage est un véritable torchon typographique dont on peine à croire qu'il a été relu avant impression. De même que les clients, au restaurant, ont le droit de se faire servir un vin non bouchonné, ceux d'un éditeur ou d'une librairie ont le droit, lorsqu'ils achètent un livre neuf, de ne pas avoir l'impression dès les premières pages d'avoir affaire à une version bêta, sur le plan orthotypographique.
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