27 mai 2025
Reportage

Sur Saint-Félix de Montceau plane le sacrilège.

1970, Luc Routier a 25 ans. Il décide d’aller découvrir cette ruine perdue sur les hauteurs de Gigean. Il prend son bâton de pèlerin et grimpe par les chemins de chèvres pour parvenir au sommet du massif de la Gardiole qui se situe entre Béziers et Montpellier. Le panorama est à couper le souffle, l’horizon se déploie sur 180 degrés, les forêts, la garrigue et les blocs calcaires s’étalent de tous côtés et les étangs de Thau au loin, rejoignent le ciel.

 

Malgré la majesté du sommet de la Gardiole, ce sont ces ruines qui subjuguent Luc Routier, ce sont les vestiges de ce que fut l’abbaye Saint-Félix de Montceau. L’édifice est en ruine, les murs, entre deux brèches, qui ont résisté au temps semblent sur le point de s’effondrer, et paraissent ne tenir encore debout que par miracle. Si vous avez déjà vécu un coup de foudre, vous savez à quel point il est soudain, puissant et irraisonné. Si vous ne l’avez pas expérimenté, vous devinez aisément la puissance qu’exprime une personne passionnée, engagée et habitée par une conviction profondément enracinée, inébranlable et communicative. Il ne faudra que quelques instants à Luc Routier pour prendre la décision de secourir cette abbaye et redonner vie à ces vestiges. La main posée sur une pierre, il murmurera « Abbaye, je vais te sauver », un véritable serment comme le souligne son fils, Guilhem Routier.

Son épouse pense que c’est pure folie, « peut-être avait-elle raison » dira-t-il, mais il est déterminé ! Ce projet devient sa mission de vie. Il commence seul, avec ses petits moyens, une pioche et une brouette. Viendront ensuite lui prêter main forte son père, son oncle, sa femme et quelques amis. C’est ensemble qu’ils fondent une association et cherchent des soutiens financiers pour mener à bien les restaurations. Sa ténacité émeut, sa détermination force respect et admiration. Raymond Hervieu qui est le bras droit de l’architecte des Bâtiments de France se rallie au sauvetage et permet à l’association d’obtenir des fonds des Monuments Historiques : un mur est ainsi sauvé de l’effondrement. L’engagement pour une noble cause est contagieux et permet de déplacer des montagnes. Des militaires, des scouts et de jeunes bénévoles viennent en aide à l’association. Le travail à accomplir est bien évidemment colossal cependant Luc Routier n’a jamais envisagé de se dédire de ce serment prêté à l’abbaye.

Pendant 55 ans et sous la supervision inlassable de Luc Routier, ces bénévoles, bâtisseurs, tailleurs de pierre, paysagistes, jardiniers en herbe, amoureux de l’abbaye, passionnés d’histoire, ont tous participé à redonner son âme à l’abbaye de Saint Félix de Montceau.

L’association y a organisé des visites, des concerts, des spectacles « son et lumière », des festivals médiévaux,… Elle inspirera une comédie musicale à son fils Guilhem. Les visiteurs redonnent vie à l’abbaye et leurs dons permettent de poursuivre les restaurations. Au fil des années, ils seront des milliers à découvrir et fréquenter ce site majestueux.

La France fait rêver à l’étranger. Chaque année des millions de touristes viennent découvrir nos régions, nos plages, nos montagnes, savourer les saveurs de nos terroirs, admirer la diversité de nos villes et de nos campagnes et découvrir les splendeurs magistrales ou discrètes de nos monuments historiques parmi lesquels figurent les abbayes. Les abbayes avaient une vocation spirituelle mais aussi une vocation de mise en valeur du territoire. Elles ont participé au développement économique et assuraient la « mémoire » de l’histoire grâce aux moines copistes. Chacune d’elle est donc un héritage de nos aïeux, un trésor religieux, culturel, architectural et historique.

 

En 2018, la gestion du site a été dévolue par l'ancien Maire de Gigean à Sète Agglopôle Méditerranée.

En 2019, Luc Routier se voit décerner la médaille d’ambassadeur culturel par François Commeinhes, alors maire de Sète et président de Sète Agglopôle Méditerranée. C’est une reconnaissance pour son courage, son dévouement, son engagement associatif dans le cadre de la sauvegarde de l’abbaye de Saint-Félix de Montceau.

Mais les époques changent et ne se ressemblent pas. C’est aujourd’hui l’état totalitaire qui règne aujourd’hui sur la France et l’Europe. Le sort réservé à Luc Routier, à l’association et l’abbaye Saint-Félix de Montceau se doit d’être souligné tant il est emblématique de l’inversion de nos valeurs, du mépris des concitoyens et contribuables, de la destruction volontaire de la France et de son histoire mais aussi et peut-être surtout des attaques à la chrétienté.

 

Ainsi, le 4 octobre 2024, Luc Routier et le trésorier de l’association sont conviés à une réunion organisée par la Direction Culture et Patrimoine. Alors que l’Agglopôle ne s’était jamais intéressée à l’abbaye, elle entend maintenant « reprendre la main » et planifie des travaux pour un montant de 1,2 millions d’euros. Il est question de clôturer le lieu, alors même que l’abbaye et ses jardins invitaient à la balade contemplative et à la randonnée. Il est question de déconstruire les ouvrages rapportés, c’est-à-dire défaire les travaux réalisés par Luc Routier et tous les bénévoles sous la direction de Raymond Hervieu, bras droit de l’architecte des Bâtiments de France. Il est question de « redéfinir » les valeurs archéologiques et historiques, de présenter une histoire authentique et non pas une histoire crédible alors même que de nombreux mystères demeurent sur les mille ans que cette abbaye a traversés. (Serait-il question ici de réécrire l’histoire ? Ce ne serait pas une première.) Il est question de retravailler les espaces verts et les jardins alors même que ceux-ci sont qualifiés de havres de paix sur les sites touristiques. Il est question de redonner « l’imago » du lieu (image inconsciente du lieu) à savoir l’état de ruines pittoresques. Il est question de valeurs sociales et identitaires qui devraient être stabilisées […] des opérations et actions transgénérationnelles pour évoluer. […] de la valeur ethnologique […] d’une démarche d’écomusée ? ». La volonté qui se dessine à travers ces mots n’est pas celle des amoureux de l’histoire, de l’architecture, des lieux sacrés... et si justement elle se dissimulait derrière ce qui n'est pas dit ? Car ce que qui n’est pas abordé est le côté sacré, religieux et spirituel de l’abbaye. N’est-ce pas pourtant ce caractère qui devrait primer ?

 

Luc Routier, qui aurait pu penser passer le relais après 55 ans de dévotion traverse alors l’impensable : devoir défendre l’abbaye de l’assaut de technocrates. Leur langage complexe dissimule des mots dénués de sens, une approche dénuée de sensibilité, un regard technique qui voit des ruines, des végétaux, une attraction touristique là où Luc Routier et les bénévoles contemplent une abbaye chargée d’histoire, des jardins qui invitent à la méditation, à la paix et l’âme de cette abbaye de Saint-Félix de Montceau nourrie de prières, de travail et de lectures des bénédictines pour lesquelles l’accueil et la charité fraternelle étaient des valeurs essentielles.

Le rouleau compresseur bureaucratique totalitaire frappe le 23 janvier 2025 sous la forme d’un affichage sur le site. À grands coups de code de l’Environnement, de décret, de déclaration préalable, la « reprise en main » se démasque et assène des coups d’une violence extrême avec des mots : « les vestiges sont malmenés depuis des décennies d’interventions non maîtrisées […] des travaux réalisés en toute illégalité et sans maîtrise d’œuvre […] des chapiteaux figurés ont été réinterprétés […] le caractère ruiniforme n’est pas respecté […] les structures rapportées présentent un état de conservation dégradé dû à des mises en œuvre peu pérennes […] Depuis que Sète Agglopôle a repris le site, la convention passée avec l’association ne serait plus autorisée à mener aucun travaux[…] aucuns travaux de jardinage ne peuvent plus être effectués par l’association […] une clôture qui soit le vrai garant de la protection de l’ensemble patrimonial de l’abbaye afin que son architecture puisse être restaurée dans les règles de l’art. »

Quel mépris ! Quelle violence ! Quelle suffisance ! Quelle diffamation ! Et j’en conclurais, comme une évidente déduction, quelle incompétence de ceux-là mêmes qui se prétendent experts et devraient, dans notre acception de l’expertise, préserver « le vrai, le bien et le beau ». De ce lieu, délaissé durant des décennies, Luc Routier et son association, à la sueur de leur front, jour après jour, année après année, ont opéré une véritable résurrection de cette abbaye qui se dresse, magistralement en surplomb de Gigean. Ils ont donné vie à des jardins raffinés et parfumés dans lesquels les arbres plantés depuis plusieurs décennies se dressent fièrement auprès de l’abbaye comme pour l’inciter à retrouver sa grandeur, sa fierté. Le lieu est un véritable havre de paix, qui inspire des concerts, des spectacles, et dans lesquels les visiteurs sont gagnés par l’émerveillement et la sérénité. « Un lien spirituel entre ciel et terre » comme le dit si justement Guilhem Routier, le fils de Luc Routier.

Cette mainmise sur ce lieu ressuscité avec amour (n’ayant pas peur du mot) me rappelle le jugement du Roi Salomon qui trancha avec sagesse un litige opposant deux femmes qui revendiquaient le même enfant. C’est parce que l’une d’elle déclara préférer renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir qu’il sût qu’elle était la vraie mère. L’amour fut récompensé. Si le Roi Salomon devait trancher sur la propriété de l’abbaye Saint-Félix de Montceau, n’est-il pas évident qu’il trancherait en faveur de ceux qui aiment ce lieu, s’y sont dévoués depuis des décennies aux prix d’innombrables efforts et sacrifices afin d’en offrir la jouissance à chacun, dans l’esprit même d’accueil et de fraternité chers aux bénédictines ? Ce trésor vieux de mille ans est un héritage de nos aïeux, un bien commun unique et magnifique, un joyau précieux qui ne saurait être réduit à une ruine, un emblème mercantile, un protocole architecturale ou une valeur ethnologique ! Il est un ancrage dans notre passé lointain, marqué par les mille ans d’histoire qu’il a traversée. Il fut bâti, entretenu, habité puis abandonné. Le demi-siècle que lui ont consacré Luc Routier, l’association et les bénévoles fait maintenant partie de lui, de son histoire à part entière, il est notre héritage et s’inscrit dans la durabilité et la transmission aux générations futures.

S’il fut un temps où les experts méritaient le respect pour leur compétence et leur dévotion au vrai, au beau et au bien, ce temps est révolu. L’art contemporain qui envahit les lieux les plus sublimes n’est que contraste de laideur et de vulgarité. Le projet présenté est destruction, enfermement, « ruinification », meurtre de l’âme de ce lieu mais également violence insupportable faite à ses amoureux, à commencer par les habitants de Gigean. En un mot, les intentions de Sète Agglopôle Méditerranée sont un sacrilège !


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